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Quand Dutronc révèle la forêt (et non La Forêt)

25 juin 2025 à 10:00:00

Cyril de Pins

Il y a une vérité secrète dans les chansons de Jacques Dutronc, une vérité sur le monde, sur le monde des arts, de l’art du roman en particulier. Cette vérité touche le monde entier. Il en est donc ainsi de l’Amérique latine dont l’évolution romanesque est déjà annoncée par « Les Playboys ».  Le playboy explique qu’il a un « joujou extra » qui fait « crac, boum, hue ». Or le Mexique a déjà abrité dans les années 1990 un groupe de romanciers qui se nomma « Crack » ou « Generación del Crack », après un autre mouvement plus général, touchant tous les pays latino-américains, ou presque, un mouvement qui, dès les années 1960-1970, se nomma lui-même « Boom » – la plupart des grands auteurs de l’après-guerre en Amérique latine appartinrent à ce Boom, au moins à titre de précurseur.

Notre auguste ville d’EBBE annonce la création d’un mouvement littéraire nommé « Hue » qui se propose d’achever la prophétie de Dutronc, prophétie cryptée bien sûr, et que beaucoup voudraient involontaires. Qu’on songe cependant à ce fait troublant : les deux premiers mouvements littéraires portant les noms annoncés dans la chanson ne comptèrent que des hommes et des hommes très facétieux dont les créations faisaient et continuent de faire une place immense au jeu, en anglais donc, ces mouvements ne comptèrent que des « playboys » au sens littérale du terme (autre jeu sur les mots que celui de les prendre au sens littéral, à rebours d’un usage mondial et désormais translinguistique – ou comment « donner un sens plus pur aux mots de la tribu »). Il s’agit donc de playboys qui ont un joujou extra – leur génie littéraire, évidemment – et ils ont déjà fait Crack, Boom, et maintenant, ils vont faire Hue…

 

Note disruptive (qui détruit tout ce qui précède) : le Crack compte au moins une femme parmi ses membres, et non des moindres : il s’agit d’Eloy Urroz. Cette omission par l’auteur de l’article n’est pas un oubli, c’est évidemment une omission volontaire, car cette présence détruit toute la démonstration de son bref article. Dutronc n’a jamais lu de romans de sa vie, c’est bien connu.

 

Réponse à la note (qui détruit ce qui précède) : Eloy Urroz est un homme et l’a toujours été. Seule l’ignorance de la langue espagnole ajoutée à celle de tout ce qui concerne les grands auteurs mexicains, à commencer par leur sexe (ou leur genre) peut conduire à croire réfuter notre démonstration avec un argument si bête et si faux (si bête parce que si faux). Comment sait-il que Dutronc ne lut jamais de romans ? Il ne le dit pas.

Eloy Urroz (à la féminité douteuse)
Eloy Urroz (à la féminité douteuse)

Réponse à la réponse (qui répond et détruit la démonstration) : Si Eloy Urroz est un homme en effet – c’est bien là un pur effet du hasard de la génétique et tout ce qui est fondé sur un tel hasard montre la faiblesse de la démonstration qui précède. Mais un élément vient fragiliser plus encore toute la démonstration, dès le titre. Ce n’est pas Jacques Dutronc (compositeur, mais non auteur) qui écrivit les paroles de la chanson, mais bien Jacques Lanzmann (auteur, mais non compositeur). Comment croire à une démonstration qui attribue une chanson à qui ne l’a pas écrite ?

 

Réponse à la réponse à la réponse (qui ne prend pas la peine de répondre, mais met les points sur les « i ») : C’est bien Jacques Lanzmann qui écrivit les paroles des « Playboys » et Dutronc qui composa la mélodie, mais si l’on dit que la chanson est une chanson de Dutronc, c’est parce que l’usage est d’attribuer une chanson à celui qui la fait connaître, à son interprète donc. Que la chanson soit de Dutronc ou de Lanzmann ne change rien à la démonstration. Rappelons à ce propos, à notre contradicteur, qui semble l’avoir oublié, ou sans doute ne l’a-t-il jamais su, qu’une démonstration n’aspire pas à être crue (comme une vulgaire opinion ou comme une simple affirmation, comme un mensonge espère l’être bien souvent), mais à être rigoureuse pour interdire au lecteur ou à l’auditeur une autre réaction que la capitulation totale et définitive. Croire qu’on peut croire une démonstration, c’est aussi idiot que de croire qu’on peut démontrer l’existence de Dieu ?

 

Note qui répond (définitivement) à ce qui précède : Je vous concède généreusement ce que vous voulez touchant les caractéristiques d’une démonstration – ce que n’est pas, tant s’en faut, votre petit articulet –, mais je constate que vous n’avez pas dit grand-chose des deux mouvements littéraires latino-américains et rien – sinon l’annonce de sa création – du « Hue » qui semblait pourtant l’objet de votre articulet.

 

Réponse à l’interrupteur intempestif : J’allais aborder le détail des mouvements latino-américains et espérais dire enfin tout ce qu’on peut dire – en l’état actuel des choses – du « Hue », mais un interrupteur intempestif est immédiatement venu m’interrompre pour me faire des objections sans fondement et sans rapport avec le propos de l’article. Si cet « articulet », comme vous dites avec mépris, n’a pas pu s’étoffer jusqu’aux dimensions d’un article, voire d’un essai, c’est uniquement et exclusivement votre faute. Espérons qu’une autre occasion me sera offerte pour reprendre et de compléter mon propos, occasion qui semble supposer et exiger la disparition (sans doute physique) de certain lecteur indélicat.

 

Attendus de l’audition de l’accusé devant la 17ème Chambre :

Attendu que l’accusé a proféré à l’endroit du plaignant des menaces de mort explicites, certes assorties d’une nuance sceptique, et qu’il a reconnu les faits, la Cour le condamne à présenter des excuses circonstanciées à l’endroit du plaignant, à un euro symbolique de dommages et intérêts et enfin à une amende de 23 zlotys.

 

Attendus de l’audition en appel devant la 17ème Chambre :

Attendu que l’identité des deux parties reste inconnue du fait qu’aucune des deux n’existe, puisqu’ils ne sont que la création de l’auteur, la Cour se déclare incompétente pour juger une telle affaire et indifférente au sort qui pourrait advenir à chacune des deux parties. Trivialement parlant : les personnages fictifs font bien ce qu’ils veulent. Ce n’est pas le rôle de la justice de s’en occuper[1].

 

            Conversation aux pas perdus :

- D’accord, je vous accorde l’Amérique latine et le roman, mais où sont les vérités sur le reste du monde ?

- « Le monde entier est un cactus, qu’il est impossible de s’asseoir », bien sûr.

- Vous plaisantez ?

- « Et moi, et moi, et moi », chanté par Dutronc bien avant les réseaux sociaux !

- Allez au diable !

- Crack, Boom, Hue » !


[1] Cet état de fait ne devait pas durer, en tout cas à EBBE où un cabinet d’avocats s’est spécialisé dans la représentation et la défense des personnages de fiction. Cf. les comptes-rendus publiés dans le présent volume. (Volume à paraître)

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